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La mémoire des jours
16 juillet 2016

Vallée de larmes

Notre 14 juillet 2016 s'est achevé de façon effroyable. Deux jours après, les mots ne viennent toujours pas pour exprimer quelque chose de publiable ici. Alors je laisse ce texte, pour ceux qui ne l'auraient pas vu sur les réseaux sociaux...

 

Nos cœurs portent leur deuil. Sous la mélancolie de ce qu’ils avaient de nous en eux et qu’ils ont emporté. Nous savions leur existence comme ils savaient la nôtre. Telle est notre commune intuition. Nous saurons un peu de leurs vies, ce qui nous sera offert, quand leurs proches commenceront à partager. Nous en saurons alors assez pour leur faire place durable dans nos mémoires. Ils continueront ainsi à être. Par-delà les cris et l’effroi, malgré ce désarroi sans cordages qui nous encorde, plus vibrants encore que cet émoi qui nous fend en dedans et nous laisse cois. Nous les tiendrons au chaud dans nos plis d’âme, bien que pour l’heure, nous soyons saisis de froid.
L’absence…
Une petite-fille vive, parfois rêveuse, qui ne reviendra pas à l’école. Sa meilleure amie qui n’en reviendra pas, comme ça fait mal au fond, là, dans cet endroit qui a plusieurs noms, cœur, poitrine, plexus, torse, poumon, et qui fait suffoquer, qui essouffle, épuise.
Un petit garçon qui ne retrouvera pas la crèche. La crèche ne le retrouve pas. Il y a ces photos, prises à Noël, à l’entrée, sur le panneau en bois. Même sans image, son sourire est là, ses gestes de désir. Il grandissait si vite.
Une adolescente délurée, déjà sûre de vouloir embrasser le monde, et qui manquera à son amoureux. Les premières amours ont cette saveur singulière et ineffable du défi mêlé de douceur. Un charme qui jamais nulle part ne sait se répéter.
Un adolescent dont la voix commençait à se rythmer et à se frotter à la rocaille, le menton s’assombrissant de quelques poils épars et fiers, ne dissimulera plus sa timidité derrière des airs de crooner taciturne.
Une maman qui ne rentrera plus, ces chants qui ne seront plus fredonnés, sous la douche, sur le balcon en arrosant des bégonias gourmands, en remuant la terre sous de récalcitrants asters de Tartarie, après une journée professionnelle pourtant harassante. Une femme, sentimentale et soucieuse, qui ne méditera plus en contemplant les stries des reines d’argent côtoyant de pulpeux aloès, les reflets des aeonium dont les pétales oblongs, offerts comme un soleil, font perler l’eau avant de la laisser rouler dans une chorégraphie de lenteur. Une femme aux reins usés par le labeur, qui n’avait rien perdu de sa joyeuse humeur, ne pestera plus contre sa fille aînée pour la mettre en garde : c’est toujours la trajectoire de la fille qui s’interrompt quand on veut se glisser trop tôt dans les lacets affriolants de la vie, souvent scélérate envers les pauvres. Une femme d’ardeur, qui a déjà dit son fait à la vie pour ses croche-pieds et ses chausse-trappe, et qui, tandis que le jour baisse pavillon, ne rira plus ne lira plus dans une berceuse pour se laver la tête des petitesses du boulot, du brouhaha des transports.
Un père, un amant, un homme qui sifflotait entre les lèvres ou dans la gorge rêvant de brillants chemins de vie pour ses fils, tout en réfléchissant à cette épargne qui préserve l’avenir, ne sonnera plus parce qu’il a oublié ses clés.
Ils ont des prénoms qui résonnent de toutes les contrées du monde, ramenant des senteurs, des sons, des clichés et des clichés, et engendrant un même chagrin, une même désolation qui rappellent que, par-delà terres et mers, les larmes sont sœurs.
Ainsi les pensons-nous, pour leur redonner vie, en attendant que ceux qui les connaissent nous les racontent. Try a little tenderness, la voix d’Aretha Franklin nous obsède.
L’aveuglement qui frappe avec une froideur de robot d’acier n’a jamais eu ni de raison ni raison. Quelles fêlures faut-il à l’esprit pour faire éclore cette démence démentielle, chez l’homo sapiens sapiens, homme qui pourtant sait qu’il sait. De quelles fureurs anciennes et nouvelles, familières ou inédites, matées ou rétives, gronde ce monde où l’hystérie nourrit l’hystérie !
Même de loin, mais si près de la souffrance, nous savons que notre seule offrande, celle qui nous sauve ensemble des étendues et profondeurs de la désespérance, ne peut venir que des signes de la vie qui vainc.
I’ve got dreams to remember (Otis Redding).
Pendant qu’un semeur de mort et d’affliction, exilé en méta-humanité, brisait tant de promesses et de sagesses, le dernier mot n’était pas dit.
Des enfants sont nés cette nuit-là. Je n’ai pas vérifié mais je sais. Car ainsi va la vie qui vainc. Ces bonheurs n’ont pas la vertu de verser une goutte de fraîcheur sur les cœurs en malheur.
Mais ils signent la défaite des semeurs de mort, qui qu’ils soient.

Christiane Taubira (texte publié le 16 juillet 2016 sur sa page Facebook ici)

 

2016-07-14-Nice par Cocoboer

(Après publication de ce dessin, pourtant juste factuel, son auteur Coco, dessinatrice à Charlie Hebdo a reçu des menaces de mort !)

 

 

 

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Commentaires
S
Je n'ai pas encore allumé de bougies....<br /> <br /> Je n'ai pas encore vraiment réagi... <br /> <br /> Quand j'ai appris la nouvelle, c'était bizarre, car j'étais dans la voiture avec Justine, devant la boulangerie, à attendre Philippe parti chercher le pain pour notre pique-nique de ce 15 juillet. Pour nous c'était un jour joyeux, un jour de fête, un jour que j'attendais depuis longtemps car on allait enfin visiter ce parc tant attendu, le parc floral et tropical de la Court d'Aron, dont je rêvais depuis que j'avais lu tes articles sur le sujet ici en septembre dernier... Alors quand j'ai entendu l'info à l'auto-radio, à 8h, j'ai écarquillé les yeux, j'étais effarée, mais je n'ai pas vraiment réagi, comme si je ne voulais pas que cette journée soit gâchée... Que faire ? Renoncer à cette sortie par solidarité pour ces familles endeuillées et rentrer à la maison pour pleurer et passer la journée devant les infos à la télé ou sur le net ? <br /> <br /> Nous avons poursuivi notre journée et nous avons été visiter le parc de la Court d'Aron comme prévu... Le soir en rentrant, tard, à près de minuit, j'ai allumé l'ordinateur. Pas pour avoir des nouvelles de cet acte criminel et barbare à Nice, mais en vérité pour voir si mon fils avait laissé des nouvelles d'Afrique du Sud. Et là, en un instant sur facebook, j'ai vu les petits mots de solidarité laissés par les uns et les autres, les photos de profil ou de couverture changées... <br /> <br /> Eh oui, ma journée a été joyeuse, même si je savais l'horrible nouvelle, pendant que d'autres pleuraient et avaient vu leur vie basculer, pour toujours. C'est assez déroutant... Faut-il se sentir coupable d'avoir envie d'en profiter pendant qu'on le peut, de peur que demain tout s'arrête et que ce soit notre tour ? <br /> <br /> Maintenant je lis ces très beaux textes. J'aime beaucoup celui que Pastelle a mis, et aussi celui que tu as ajouté d'Antoine Leiris, qui me parlent bien plus encore que le texte de Christiane Taubira. Et curieusement, je ressens comme un apaisement. Je ne culpabilise plus d'avoir envie de vivre ma vie pendant que d'autres sont dans la souffrance. Je n'oublie pas pour autant toutes ces familles endeuillées. Et moi aussi maintenant j'ai envie d'allumer une bougie. Les autres fois -parce que oui malheureusement il y a ces autres fois aussi !- j'ai écrit un petit texte. Pour l'instant je ne l'ai pas fait pour toutes ces victimes de Nice. Je laisse faire... <br /> <br /> Merci donc à toi Memjo pour ce texte et ceux qui ont suivi. Grâce à toi, je pense que j'ai enfin réagi et accepté cette horrible vérité que je voulais garder enfouie en moi...
M
Je joins le texte d'Antoine Leiris publié aujourd'hui : <br /> <br /> (Le journaliste Antoine Leiris a perdu sa femme, Hélène, au Bataclan le 13 novembre. Ce tout jeune papa avait publié à l'époque un texte dont tout le monde se souvient "vous n'aurez pas ma haine" (https://www.facebook.com/antoine.leiris/posts/10154457849999947). Il a ensuite publié un livre sous le même titre).<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Le 17/07/2016<br /> <br /> "Le jour où nous n'allumerons plus de bougies"<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne supporte plus l’odeur des bougies. Elles me donnent envie de vomir. À Nice, à Paris, à Orlando, à Istanbul, à Bruxelles, et partout où ils ont semé la mort, ce sont les mêmes scènes. Les mêmes portraits accrochés. Les mêmes fleurs déposées. Les mêmes bougies allumées. Et cette odeur âcre qui me laisse dans la bouche le goût du sang versé.<br /> <br /> <br /> <br /> Je pensais ne plus avoir assez de larmes. Je pensais que le pire était passé. Je pensais m’être habitué. Je me trompais. À chaque nouvelle attaque j’ai pleuré. Ils étaient des hommes, des femmes, des enfants. Ils avaient des envies, des peurs, des désirs, une vie. Ils sont morts. Et nous allumons une bougie.<br /> <br /> <br /> <br /> Contre un camion lancé à pleine vitesse, contre des Kalachnikovs chargées de rancœur, contre des explosifs prêts à sauter, c’est peu une bougie. Pourtant c’est une arme plus puissante que toutes celles qu’ils pourront utiliser. Parce que le jour ou la mort de l’autre nous laissera sans réaction, le jour où nous n’allumerons plus de bougies, nous serons devenus comme eux.<br /> <br /> <br /> <br /> Des êtres sans peur face à la mort. Mais pour ne pas craindre la mort, il faut trembler de peur devant la vie. Alors craignons la mort et embrassons la vie. Dès le lendemain j’ai allumé une bougie que j’ai posée sur le rebord de ma fenêtre. Elle brûle encore aujourd’hui. Elle me rappelle l’odeur de la peur, de la haine, du renoncement. Elle me rappelle l’urgence de la vie.<br /> <br /> <br /> <br /> (source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/07/17/antoine-leiris-le-jour-ou-nous-n-allumerons-plus-de-bougies-nous-serons-devenus-comme-eux_4970895_3232.html?utm_medium=Social&utm_campaign=Echobox&utm_source=Twitter&utm_term=Autofeed#link_time=1468777281)
P
Elle écrit bien la dame. <br /> <br /> Moi j'ai beaucoup aimé les mots de Maxime Chattam, juste deux heures après. <br /> <br /> Je me permets de les coller ici <br /> <br /> <br /> <br /> Il n'y a pas beaucoup de mots simples lorsqu'on est face à la barbarie de Nice qui fait suite à déjà trop de précédentes folies.<br /> <br /> Déjà dire qu'on pense à celles et ceux qui en ont besoin. Avant tout.<br /> <br /> Accepter cet effarement qui nous saisit, qui fait de nous un peuple sonné, une fois encore.<br /> <br /> Ne pas céder à la rage, même si la colère est légitime, réussir à vivre l'émotion sans qu'elle ne prenne le pas sur le raisonnement. Se dire que nous devons faire face avec intelligence. Notre monde bascule, année après année, et cette guerre larvée ne prendra pas fin en quelques mois, il faudra se montrer patients, endurants, unis. Ne pas réagir par la violence, même lorsqu'elle bouillonne dans nos tripes comme une réaction animale, car de cette violence se nourrit le monstre qui est en face.<br /> <br /> Une bête cruelle et tentaculaire qu'il faudra vaincre à coup de mots, d'éducation, d'entraide, de social, de prévention, avant que les armes reprennent le terrain que nos esprits n'auront su reconquérir.<br /> <br /> Ces ennemis de notre liberté misent sur nos instincts primaires pour nous autodétruire. Ils espèrent que nous tomberons dans la haine aveugle, dans l'amalgame qui alimente à terme leur cause, et que notre crise économique finira de nous pousser vers de mauvais choix sociaux aux issues tragiques. Ils veulent nous entraîner sur le terrain de la haine, de la violence, car sur celui de la raison, ils savent qu’ils ne peuvent pas gagner.<br /> <br /> Ce matin il est difficile en serrant ses enfants contre soi de ne pas pleurer. Pour ceux qui sont partis cette nuit. Pour le monde dans lequel les autres vont grandir. Mais il n’est pas que ça. Et nous nous devons, pour eux, d’être un peu de la lumière nécessaire à illuminer ce que ce monde a de bien aussi.<br /> <br /> Prenons le temps d'encaisser, d'aider ceux qui en ont le plus besoin, de digérer cette émotion colossale qui nous submerge. Mais soyons vigilants à ce qu'elle nous fait parfois penser, dire, voire faire.<br /> <br /> Je suis de tout cœur avec les Niçois. Avec les Français. Avec tout ceux de part le monde qui subissent ou luttent contre l'obscurantisme fanatique.<br /> <br /> <br /> <br /> PS : même si à l’heure ou j’écris ces lignes il n’y a aucun rapprochement idéologique ni revendication, il ne fait que peu de doute sur les motivations de cet abruti qui a cru voir l’illumination dans ce qui n’est qu’un aveuglement.
M
Les mots nous manquent en effet pour qualifier de telles horreurs. Nos coeurs sont touchés et voudraient alléger la souffrance de tous ces gens pour qui la fête s'est poursuivie en cauchemar et qu'ils vont porter toute leur vie
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